Les aveux présumés du capitaine Amhaz : Pourquoi ce timing

Scarllette Haddad

Décryptage-La soudaine réapparition, à ce moment précis, du dossier du capitaine Imad Amhaz enlevé par les Israéliens à Batroun dans le cadre d’une opération de commandos le 3 novembre 2024 suscite de nombreuses questions. D’abord, ce dossier comporte en lui-même plusieurs zones d’ombres, qui n’ont jamais été éclaircies. Ensuite, on peut se demander pourquoi il redevient soudain d’actualité, alors que le Liban est en principe en pleines négociations avec les Israéliens dans le cadre de la commission dite du « mécanisme » ? C’est d’autant plus curieux que cet événement avait, au moment de son déroulement, mis en lumière l’existence d’une force militaire maritime spéciale du Hezbollah, selon les médias israéliens. Du côté de la formation, il n’y a jamais eu de confirmation claire de la réalité de cette force, ni même des commentaires précis sur les allégations israéliennes lors de l’opération de Batroun, même si le nom de Imad Amhaz fait partie des prisonniers libanais entre les mains des Israéliens dont le Liban réclame la libération…
La divulgation par les médias israéliens de la vidéo des aveux de Imad Amhaz remet donc en lumière cet épisode et il est certain qu’il ne s’agit pas d’un simple hasard, mais bien d’une volonté claire de la part des Israéliens d’utiliser ce dossier pour obtenir des acquis dans le cadre des négociations en cours.
Bien que le Hezbollah ait choisi de garder le silence sur ce développement, comme il l’avait d’ailleurs fait en novembre 2024, des sources proches de la formation font une rapide analyse de la vidéo des aveux du capitaine. Elles relèvent ainsi le fait que les prétendus aveux de Imad Amhaz ressemblent fort à tous ceux qui sont divulgués dans ce genre de circonstance. Le prisonnier est calme et la conversation se déroule en toute simplicité, sans que rien n’indique qu’il est soumis à des pressions ou qu’il a subi des tortures. Il donne même, à certains moments, l’impression d’analyser les faits, non d’en être un des principaux acteurs. Mais ce qui a le plus frappé les sources précitées, c’est que lorsqu’il parle de l’ancien secrétaire général du Hezbollah, il l’appelle « Nasrallah », sans utiliser l’un de ses nombreux titres. C’est notamment le cas lorsque Imad Amhaz révèle que ce dernier était au courant de toutes ses activités…Si les milieux proches du Hezbollah préfèrent ne pas confirmer ou infirmer le contenu de la vidéo, ils estiment étonnant qu’un responsable de la formation, même emprisonné, et soumis à des pressions psychologiques ou autres, s’exprime de cette façon…
Les mêmes sources relèvent aussi les affirmations du détenu sur la volonté du Hezbollah de menacer, à travers son unité militaire maritime, d’autres pays qu’Israël. Et sur l’insistance du « colonel » qui mène l’entretien, il cite clairement les Etats-Unis. Les sources proches du Hezbollah se demandent ainsi comment, une unité maritime aux moyens limités et éloignée géographiquement pourrait-elle menacer les Etats-Unis, même si elle en avait l’intention ? Il est clair, selon ces mêmes sources, que ces propos cherchent à impliquer les Etats-Unis dans la menace que constitue l’unité maritime du Hezbollah, dans le but de les pousser à donner un feu vert à une éventuelle attaque israélienne élargie contre le Liban, à la veille de la rencontre entre le Premier ministre israélien et le président américain, prévue à la fin du mois.
Toutefois, des sources politiques libanaises considèrent que la diffusion de la vidéo des aveux de Imad Amhaz en ce moment précis a aussi d’autres objectifs pour les Israéliens, liés notamment au processus des négociations en cours.
Il s’agirait d’abord pour les Israéliens d’élargir le champ de ces négociations, pour qu’elles ne se limitent plus au volet strictement terrestre, comme le respect de la ligne bleue et la réalisation d‘une zone démilitarisée au sud du Litani. En même temps, les Israéliens voudraient détourner l’attention des négociateurs de l’obligation pour eux de se retirer des 7 positions qu’ils ont récemment occupées le long de la frontière avec le Liban. Pour les sources libanaises précitées, les Israéliens qui ont tout fait pour pousser la FINUL à se retirer du Liban et pour mettre fin à sa mission, ambitionnent de prendre la relève au niveau de la fouille des bateaux qui viennent vers le Liban, voire des ports libanais eux-mêmes. En effet, l’ouverture de ce dossier, en ce moment précis, permet aux Israéliens d’évoquer la nécessité d’empêcher toute possibilité d’afflux d’armes pour le compte du Hezbollah, via les voies maritimes, après celles terrestres ou aériennes.
La divulgation des aveux de Imad Amhaz en ce moment précis a aussi d’autres objectifs pour les Israéliens. Il s’agit par exemple de montrer comment le Hezbollah utiliserait des installations civiles à des fins militaires, pour préparer notamment des attaques « terroristes ». En effet, Imad Amhaz était connu à Batroun pour être un capitaine de cargo. Il travaillait dans une institution commerciale et tout le monde le considérait comme un civil. Ce n’est qu’au moment de sa capture par le commando israélien que ceux qui le connaissaient à Batroun ont découvert qu’il avait des activités militaires secrètes. Grâce à la vidéo de ses aveux, ces activités sont devenues plus claires aux yeux de tous. En la rendant publique, les Israéliens ont voulu montrer ce qu’ils considèrent être la « duplicité » du Hezbollah, qui se cache derrière des institutions civiles pour lancer des attaques militaires. Dans l’optique israélienne, il s’agit d’un argument qui peut être utilisé pour justifier le lancement d’attaques contre des institutions civiles au Liban, sous prétexte qu’elles cacheraient en réalité des activités militaires du Hezbollah. Maintenant que la commission du mécanisme semble décidée à intensifier son action et à étudier sérieusement toutes les demandes qui lui parviennent, qu’elles soient adressées par les Israéliens ou par les Libanais, cet argument peut donc être utile aux Israéliens.
Il y a encore une raison qui peut pousser les Israéliens à divulguer maintenant les aveux du capitaine Imad Amhaz, c’est la volonté d’aiguiser les dissensions confessionnelles au Liban, en montant la rue chrétienne contre le Hezbollah, puisque ce dernier avait caché son unité militaire maritime au large des côtes de Batroun, en pleine zone « chrétienne ». En même temps, il s’agirait aussi d’une sorte d’avertissement sur une intention israélienne d’élargir le champ de ses agressions jusque-là axées sur les régions à majorité chiite, pour qu’elles visent désormais toutes les régions du pays, y compris les lieux jusque-là épargnés.
Ce qui pouvait donc au départ paraître comme un détail dans un scénario un peu abstrait est en train de devenir une étape importante dans le processus des négociations. Il peut être aussi l’indice annonciateur de développements plus grands… ou constituer un nouveau moyen de pression sur le Liban, pour le pousser à faire des concessions.